Pandemia

Photographe à l'heure d'une pandémie

Pandemia

Revenons quelques mois plus tôt. Nous sommes début décembre 2019, « BlackFriday » vient tout juste de passer, et on commence à préparer Noël. Pourtant, des rumeurs se répandent sur internet. Un virus serait apparu en Chine, dans la province de Wuhan. Je regarde rapidement quelques infos dessus, puis passe à autre chose. Puis, cela prend de l'ampleur. Les journaux commencent à en parler un peu. Cependant, rien de très inquiétant. Il s’agirait d’une simple grippe.

 

Pourtant, rapidement, dès la mi-janvier, certains pays commencent à déclarer des cas de contamination. D’abord en Asie, les trois premiers cas européens arrivent en France le 24 janvier. Le 30 janvier, l’OMS déclare « l’état d’urgence de santé publique de portée internationale ».

Dès ce moment, tout s’accélère. Le premier cas suisse est déclaré le 25 février, le premier cas genevois le 27 février. Quelques jours plus tôt, j’étais content car j’avais « booké » le shooting d’une grande assemblée générale et d’un congrès sur plusieurs jours. Mais le 28 février, le Conseil fédéral annonce l’interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes. Initialement prévu jusqu’au 15 mars.

Le soir même, alors que je suis encore à une réception, mon téléphone commence à sonner. Une première annulation. Confiant durant le week-end, mon emploi du temps va être bousculé dès le lundi matin. Minutes après minutes, mails après mails, mon agenda se vide. Je shooterai pour la dernière fois pour un très long moment le 11 mars.

Le 13 mars, le Conseil fédéral annonce le durcissement des mesures, avec l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, la fermeture des écoles et des universités dès le lundi suivant.

Ce même lundi, tous les lieux publics non essentiels ont ordre de ne pas ouvrir le lendemain. Qu’il s’agisse des commerces, restaurants, lieux de divertissement et de loisirs, salons de coiffure. Le pays s’arrête. Seuls les magasins alimentaires, les transports, les banques, les bureaux de postes et les restaurants proposant de la vente à emporter peuvent continuer à exercer, tout en respectant des mesures sanitaires strictes.

L’armée est alors prête à être déployée afin, notamment, d’aider dans les hôpitaux et à la surveillance des frontières, elles aussi fermées, excepté pour les travailleurs frontaliers.

Sonné par la rapidité avec laquelle la situation se dégrade, je me retrouve sans revenu, sans travail, sans occupation. Pourtant, je suis photographe. Je crée des images. Or, cette situation, si exceptionnelle, se doit d’être immortalisée.

Je me retrouve seul, dans une ville désertée. Cette ville qui d’habitude se lève si tôt le matin, au son des moteurs de camions de livraisons, et qui ne s’endort que tard dans la nuit, se retrouve alors vidée de sa substance. Alors que quelques mois plus tôt encore, je rêvais de pouvoir photographier cette ville déserte, je me retrouve à ne pas vouloir capturer cette image, si triste, si irréelle. Le balai permanent des bus se transforme en ballet d’ambulances, de voitures de police et autres camions de pompiers volontaires, chargés de faire respecter l’interdiction des rassemblements de plus de 5 personnes, ainsi que la distance sociale de 2m entre chacun. Les places de jeux, qui quelques semaines auparavant, accueillaient des enfants de tout âge, se retrouvent enrubannées de rubalises blanches et rouges, telles des momies. Les quelques passants, locaux, que l’on rencontre changent de trottoirs à mon approche.

Côté aéroport, les avions sont eux aussi confinés, derrières les barbelés entourant leur enceinte de confinement. Les portes scellées, réacteurs plastifiés, comme si l’on essayait de les protéger, eux aussi, de ce mal invisible. Ce jour-là, j’aurais la chance de voir un avion voler. Espèce devenue rare, je vérifie rapidement sur mon téléphone : c’est effectivement le seul vol qui aura lieu aujourd’hui, l’autre ayant été annulé. Les gens ne se déplacent plus.

Les transports publics ne circulent presque plus, seul un service minimum est assuré. Alors qu’encore quelques semaines auparavant, j’avais mis plus d’une heure à traverser la ville en fin d’après midi en voiture, je me retrouve à rentrer en seulement quelques dizaines de minutes.

La vie finit par s’organiser, ce qui était une situation exceptionnelle, devient la normalité. On ne s’approche pas, on se dit à peine bonjour. On prévoit ses sorties telles des expéditions. Une simple escapade au supermarché devient une excursion de plusieurs heures. Alors qu’on avait l’habitude de faire la queue pour partir en vacances à l’aéroport, on se retrouve à la faire pour rentrer dans un magasin. Le gel hydroalcoolique devient notre compagnon d’infortune.

Finalement, fin avril, deux mois après le début de cette aventure, le Conseil fédéral, face à la diminution des cas, assouplit les mesures prises. Bien que certaines restrictions soient encore en place, on respire à nouveau. Timidement, la vie reprend, encore marquée par cette hibernation printanière. Même si l’on sait déjà que l’on restera marqué par cette expérience collective pendant des mois, voire des années, on espère un retour à la normale rapidement.

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